Liberté d’expression et ses limites sur internet : ce que tout professionnel doit savoir

Liberté d’expression sur internet : un droit fondamental… encadré

En France, la liberté d’expression est garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et encadrée par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Elle s’applique à tous les supports : articles de blog, posts sur les réseaux sociaux, newsletters, emails professionnels…

L’idée est simple : vous pouvez exprimer vos opinions, critiquer, informer — mais à condition de respecter les lois, la réputation et les droits d’autrui.

La Cour de cassation rappelle régulièrement que « la liberté d’expression ne permet pas de tout dire ». Le cadre légal vise à protéger la dignité, l’honneur et la vie privée.

Tour d'horizon des limites de la liberté d'expression sur internet.

Les principales limites de la liberté d’expression prévues par la loi de 1881

Diffamation

Définition : allégation ou imputation d’un fait précis, même vrai, portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne physique ou morale, formulée publiquement mais surtout que l'auteur n'est pas en mesure de prouver.

  • Exemple condamné : un commerçant qui accuse sur Facebook un concurrent de vendre des produits dangereux sans preuve (Cass. crim., 10 avr. 2018).

  • Exemple non condamné : une critique sévère mais générale sur la qualité d’un service, sans imputer de fait précis ni nommer directement la personne ou l’entreprise.

Sanctions : jusqu’à 12 000 € d’amende (diffamation non publique : 38 € d’amende, art. R621-1 CP) ; aggravation possible si la diffamation est à caractère raciste, sexiste ou homophobe (peine portée à 1 an d’emprisonnement et 45 000 € d’amende).

Injure

Définition : expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait précis.

  • Exemple condamné : traiter publiquement un élu de « parasite » sur Twitter.

  • Exemple non condamné : une formule ironique ou une caricature politique qui s’inscrit dans le cadre de la satire et n’attaque pas directement la dignité personnelle.

Sanctions : mêmes peines que la diffamation (art. 33 loi 1881).

Dénigrement

Définition : en droit commercial, propos visant à jeter le discrédit sur un produit, un service ou une entreprise, sans rapport direct avec une critique objective ou un débat d’intérêt général.

  • Exemple condamné : un blogueur qui publie un article intitulé « Les pires agences SEO » en accusant certaines d’arnaquer leurs clients, sans preuves (CA Paris, 9 sept. 2015).

  • Exemple non condamné : une analyse comparative argumentée et vérifiable entre deux produits concurrents.

Sanctions : engagement de la responsabilité civile et condamnation à des dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.

Atteinte à la vie privée

Même un professionnel ne peut publier des éléments concernant la vie personnelle de quelqu’un (adresse, numéro de téléphone, situation familiale) sans son accord.

Sanctions : jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 45 000 € d’amende (art. 226-1 Code pénal).

C'est ainsi que cette pharmacienne, exaspérée par les vols dans son établissement, s'est exposée à d'éventuelles poursuites en affichant les voleurs (20 000€ de pertes par an...).

Spécificités selon les supports

Il existe des spécificités à la liberté d'expression sur internet en fonction des supports. Car le caractère public d'une allégation en accroît forcément la portée.

Sur un site internet ou blog

Le responsable légal est l’éditeur du site (ou son directeur de publication). Les propos litigieux engagent sa responsabilité, même si l’auteur est un contributeur externe.

Sur les réseaux sociaux

Les juridictions considèrent qu’un post en « public » relève de la publication publique au sens de la loi de 1881, tandis qu’un post visible uniquement par un cercle restreint peut être considéré comme « non public » (TGI Paris, 10 janv. 2019).

Dans un email

Un email envoyé à un groupe restreint (collaborateurs, clients identifiés) relève en principe du cadre privé. Mais si le message est diffusé à un large groupe ou sur une liste ouverte, il peut être qualifié de public.

Distinguer une critique d’un délit

Une critique : repose sur des faits vérifiables, exprime un avis subjectif mais argumenté, n’utilise pas d’expressions outrageantes, ne nomme pas inutilement des personnes physiques.
Un délit : affirme un fait précis non prouvé, utilise des termes injurieux, vise à nuire à la réputation, ou révèle des informations personnelles sans consentement.

Que faire si vous êtes victime ?

  • Rassembler les preuves
    Captures d’écran avec URL et date, constat d’huissier si possible, archivage via un service tiers (ex. archive.org).
  • Contacter la plateforme
    La loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) oblige les hébergeurs à retirer promptement un contenu manifestement illicite signalé via leur procédure interne.
  • Mettre en demeure l’auteur
    Lettre recommandée avec AR rappelant les faits et les dispositions légales violées.
  • Porter plainte
    Auprès du commissariat ou de la gendarmerie, ou directement auprès du procureur de la République.
    Délais : 3 mois à compter de la publication pour les délits prévus par la loi de 1881.
  • Saisir un avocat spécialisé
    Pour évaluer la stratégie, engager une action en référé (urgence) ou au fond.

Organismes et contacts utiles

  • CNIL : pour les atteintes à la vie privée et aux données personnelles.

  • Pharos : plateforme officielle pour signaler un contenu illicite en ligne

  • L'ordre des avocats de votre lieu de résidence : liste des avocats spécialisés en droit de la presse et de l’internet.

  • Médiateur de la consommation : en cas de litige avec un professionnel dans le cadre d’une relation commerciale.

 

Et vous, avez-vous déjà été victime de diffamation ou d'injure publique ?